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Frédéric Ohlen

 

Frédéric Ohlen voit le jour en 1959 dans la « dernière ferme nouméenne ». Il enseigne depuis une vingtaine d’années le français et l’histoire à la Vallée-du-Tir, quartier qui lui a inspiré un recueil de nouvelles : Brûlures (Grain de Sable, 2000).
Homme de mots et d’action, de musiques et de rythmes, il se consacre d’abord à la poésie, qu’il sert avec générosité et profusion : douze recueils publiés à ce jour, rassemblés sous la forme d’un vaste cycle consacré au mouvement et à l’espace, depuis La Voie solaire (Guy Chambelland, 1996) jusqu’à La Lumière du monde (Grain de Sable/L’Herbier de Feu, 2005). Frédéric Ohlen s’est aussi beaucoup investi dans l’édition, contribuant à faire paraître une trentaine d’ouvrages, qui vont du roman au récit de vie en passant par l’anthologie poétique ou l’album photo.
Lauréat de nombreux prix dont : le prix de la Semaine du Livre calédonien (1988), le prix Raymond de Laubarède (1988 et 1994), le prix de Littérature Jeunesse (bibliothèque Bernheim, 1998), le prix des Nickels de l’Initiative (4 fois entre 1994 et 2000) et le prix Popaï du gouvernement (SILO, 2005), il a animé l’Unité d’Enseignement et de Recherches 5, « Production d’écrits », à l’université de la Nouvelle-Calédonie. Son roman Premier Sang (Grain de Sable, 2001) a été traduit en italien (Stampatori, 2002, Turin).
À l’occasion de la Semaine de l’Océanie (2006), ses poèmes ont été lus à la Comédie française par Laurent Stocker (César du meilleur second rôle 2008).
Livres

Venir au Jour (L’Herbier de Feu, 2009).
  • « Dans sa conception, sa fabrication et son propos, Venir au jour de Frédéric Ohlen, publié à L’Herbier de Feu, est un livre unique. Comme pourraient le dire les parents d’un enfant qui vient de naître. De la naissance à la mort, il y a la vie que seuls les mots justes du poète peuvent évoquer. Ici et ailleurs… »
  • Extraits

     

    Loup noir
    Je revins
    dans la peau d’un loup
    noir 

    Ils avaient construit leurs bicoques
    à flanc de colline
    en longues files
    cloques toutes pareilles

    Plus de
    donzelles qui filent doux
    de squaws agglutinées

    La beauté n’était plus
    dans la poitrine de l’archer
    dans le rut des cerfs
    dans le brame profond
    qui brûle ton sternum

    Elle n’était pas
    dans le vent chaud
    qui marche sur la mer

    Ils me parlèrent
    Ça n’avait pas de sens

    Avez-vous eu faim ou froid ?
    Étiez-vous frères ? demandai-je
    Avez-vous aimé ?
    C’était les seules questions

    Si peu à savoir
    Je leur montrai la pulpe de la mer
    le mouvement de leur sang

    Mais ils étaient nombreux
    et n’avaient plus de rêves

    (…)

     

    Voici le cercle…
    Sur une bouée du navire la Monique disparu corps et biens le 31 juillet 1853
    I.
    Voici le cercle
    Les survivants héritent de ce mystère
    de cet anneau parfait 

    Depuis leurs pas ont fait le tour de la Terre
    Ils ont goûté les saisons
    Le vent qui frotte dans les herbes
    ce foisonnement de la vie qui traverse leur ventre

    Ils ont marché
    dans les rues lentes de pays
    où leurs mots clairs n’avaient pas cours

    vu sous le bec du colibri
    l’hibiscus qui plie
    au-dessus d’eux la nuit
    cette arche
    dont la beauté fulgure

    Nous venons à vous
    Jean Raymond Gabriel
    nous venons à vous

    Maria Céline Madeleine
    nous redisons vos noms
    nous en reconnaissons le goût

    Charles
    cinquante après
    ils se rappelaient de ton sourire
    ta façon de surfer la terre
    tes ahans d’athlète réveillant la maison

    Étienne et toi Mickaël Wadigat
    ta manière de tenir la batte
    quand vous dansiez
    et faisiez tressaillir le sol
    en l’honneur des prémices

    Nous venons à vous les mains vides
    pour vous hisser hors d’eau
    pour qu’à jamais vos souffles
    n’y reposent

    Aux seigneurs des murs
    aux insensés qui disent
    que nul ne leur ressemble

    qu’il n’est rien à partager
    dans l’eau ni dans la mémoire
    voici le cercle qui rassemble

    Qu’est-ce donc qu’un pays
    Même corps soudain
    même voix

    Non le passé
    qui s’embracèle
    pauvre diadème

    mais
    le corps là
    et les mains qui se tiennent

    II.
    Terres ceintes
    Îles fermées de récifs
    Fleuves peu navigables
    L’eau pourtant vectrice des hommes

    Non ces fiers navires
    aux noms clinquants de drapeau
    mais plates chaloupes motor-ships
    Mata Hari Sarah Meïline La Monique
    Paquebots mixtes aux noms de fiancées

    On dort
    sur des sacs
    dans l’odeur d’huile et de tourteau

    Sous le prélart
    quand la pluie fouette
    parmi

    les paniers
    les ballots ficelés
    les bougnas

    feuilles roussies
    où le feu laisse son haleine
    de cendre hirsute et de pierraille

    III.
    On fait sa vie
    On suit la haussière
    On entre en lice
    Ou bien on laisse
    Au loin ses frères
    Les contours mousseux de la terre

    Frédéric Ohlen
    Poème écrit à l’occasion du 50e anniversaire
    de la disparition de la Monique
    et de l’exposition qui lui a été consacrée
    au musée de l’Histoire maritime.

    La Lumiére du Monde

     

    Le Mitard du Camp-Est
    Une photo
    une photo interdite
    de celles que ne publient pas les journaux 

    Tu me l’as envoyée
    Tu savais que je la regarderai
    qu’elle deviendrait une part de moi-même

    Elle ne dit pas la colère des foules
    les catastrophes ni l’esbroufe
    Elle ne donne pas les cent recettes pour mincir
    Elle n’annonce pas les bébés clonés
    les horoscopes en toc
    les apnées de la Bourse
    ni la nomination d’untel ou de machin

    En vrac

    un banc de sapin
    un bat-flanc de ciment
    des w.-c. à la turque
    le ressac d’une plume sur le mur d’en face

    Ces dessins
    on les dirait sculptés de l’index

    Des cris ces esquisses de crasse et d’encre
    des cris
    des cataractes de cheveux
    des profils bleus

    Ces crânes ces drapeaux
    ces poings
    je les comprends

    Une résille d’acier sert de porte et fenêtre
    C’est là qu’on met les branques les dézingueurs
    les bouffeurs de matons

    Parce qu’il a partout eu faim
    partout l’homme noir est en prison

    Ces dessins sur le mur
    c’était leur réponse
    à l’obscurité

    Sur la photo la cage est vide
    et tu cherches
    la lumière du monde

    Frédéric Ohlen
    in La Lumière du Monde (L’Herbier de Feu/Grain de Sable, 2005)