Paul Geraldy, poèmes pour la St Valentin ! Fév14

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Paul Geraldy, poèmes pour la St Valentin !

Géraldy, Paul (1885-1983, (pseudonyme de Paul Lefèvre), poète et dramaturge français, auteur d’une œuvre intimiste et sentimentale. Son répertoire est celui du théâtre psychologique traditionnel, qu’il revivifia grâce à une subtile appréhension des relations familiales au sein de la petite bourgeoisie intellectuelle de l’entre-deux-guerres.

Il porta son regard essentiellement sur la vie de couple (Aimer, 1921; Robert et Marianne, 1925; Duo, d’après Colette, 1938), soumise à la pesanteur du quotidien. Cet art empreint de sentimentalité lui valut un vif succès, notamment auprès du public féminin.

Ce fut aussi le cas pour sa poésie, sensible et désuète, où il livre les confidences du cœur avec les mots de tous les jours (Toi et Moi, 1913).

Il a également laissé des études psychologiques dans des narrations
telles que la Guerre, Madame ! … (1916) et l’Homme et l’Amour (1951).

Dualisme

Chérie, explique-moi pourquoi
tu dis: « MON piano, MES roses »,
et: « TES livres, TON chien » … pourquoi
je t’entends déclarer parfois:
« c’est avec MON argent à moi
que je veux acheter ces choses. »

Ce qui m’appartient t’appartient !
Pourquoi ces mots qui nous opposent:
le tien, le mien, le mien, le tien?
Si tu m’aimais tout à fait bien,
tu dirais: « LES livres, LE chien »
et: « NOS roses ».

(Toi et moi)

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Abat-jour

Tu demandes pourquoi je reste sans rien dire ?
C’est que voici le grand moment,
l’heure des yeux et du sourire,
le soir, et que ce soir je t’aime infiniment !
Serre-moi contre toi. J’ai besoin de caresses.
Si tu savais tout ce qui monte en moi, ce soir,
d’ambition, d’orgueil, de désir, de tendresse, et de bonté !…
Mais non, tu ne peux pas savoir !…
Baisse un peu l’abat-jour, veux-tu ? Nous serons mieux.
C’est dans l’ombre que les coeurs causent,
et l’on voit beaucoup mieux les yeux
quand on voit un peu moins les choses.
Ce soir je t’aime trop pour te parler d’amour.
Serre-moi contre ta poitrine!
Je voudrais que ce soit mon tour d’être celui que l’on câline…
Baisse encore un peu l’abat-jour.
Là. Ne parlons plus. Soyons sages.
Et ne bougeons pas. C’est si bon
tes mains tièdes sur mon visage!…
Mais qu’est-ce encor ? Que nous veut-on ?
Ah! c’est le café qu’on apporte !
Eh bien, posez ça là, voyons !
Faites vite!… Et fermez la porte !
Qu’est-ce que je te disais donc ?
Nous prenons ce café… maintenant ? Tu préfères ?
C’est vrai : toi, tu l’aimes très chaud.
Veux-tu que je te serve? Attends! Laisse-moi faire.
Il est fort, aujourd’hui. Du sucre? Un seul morceau?
C’est assez? Veux-tu que je goûte?
Là! Voici votre tasse, amour…
Mais qu’il fait sombre. On n’y voit goutte.
Lève donc un peu l’abat-jour.

(Toi et moi, 1885)

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Absence

Ce n’est pas dans le moment
où tu pars que tu me quittes.
Laisse-moi, va, ma petite,
il est tard, sauve-toi vite!
Plus encor que tes visites
j’aime leurs prolongements.
Tu m’es plus présente, absente.
Tu me parles. Je te vois.
Moins proche, plus attachante,
moins vivante, plus touchante,
tu me hantes, tu m’enchantes!
Je n’ai plus besoin de toi.
Mais déjà pâle, irréelle,
trouble, hésitante, infidèle,
tu te dissous dans le temps.
Insaisissable, rebelle,
tu m’échappes, je t’appelle.
Tu me manques, je t’attends !

(Toi et moi, 1885)

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Passé

Tu avais jadis, lorsque je t’ai prise,
il y a trois ans,
des timidités, des pudeurs exquises.
Je te les ai désapprises.
Je les regrette à présent.
A présent, tu viens, tu te déshabilles,
tu noues tes cheveux, tu me tends ton corps…
Tu n’étais pas si prompte alors.
Je t’appelais : ma jeune fille.
Tu t’approchais craintivement.
Tu avais peur de la lumière.
Dans nos plus grands embrassements,
je ne t’avais pas tout entière…
Je t’en voulais. J’étais avide,
ce pauvre baiser trop candide,
de le sentir répondre au mien.
Je te disais, tu t’en souviens :
« Vous ne seriez pas si timide
si vous m’aimiez tout à fait bien !… »
Et maintenant je la regrette
cette enfant au front sérieux,
qui pour être un peu plus secrète
mettait son bras nu sur ses yeux.

(Toi et Moi)

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ÂMES, MODES

Tu ne serais pas une femme
si tu ne savais pas si bien
te faire et te refaire une âme,
une âme neuve avec un rien.
À ce jeu ta science est telle
que, chaque fois que je te vois
tu fais semblant d’être nouvelle,
Et j’y suis pris toutes les fois.

… (Toi et Moi)

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ENTRE, VOICI MA CHAMBRE…

Entre ! Voici la chambre éparse et provisoire
où j’étais seul, où je vivais en t’attendant,
et ma tristesse avec sa lampe et ses armoires,
et voici le portrait de ma mère à vingt ans.
Voici mes résumés de cours et mes poètes,
Mes disques préférés, mes Bach et mes Schubert,
le calendrier neuf où le jour de ta fête
est marqué d’une croix, et puis voici mes vers.

(Toi et Moi)

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Méditation

On aime d’abord par hasard
Par jeu, par curiosité
Pour avoir dans un regard
Lu des possibilités

Et puis comme au fond de soi-même
On s’aime beaucoup
Si quelqu’un vous aime, on l’aime
Par conformité de goût

On se rend grâce, on s’invite
À partager ses moindres mots
On prend l’habitude vite
D’échanger de petits mots
Quand on a longtemps dit les mêmes
On les redit sans y penser
Et alors, mon Dieu, on aime
Parce qu’on a commencé

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Bonjour !

Comme un diable au fond de sa boîte,
le bourgeon s’est tenu caché…
mais dans sa prison trop étroite
il baille et voudrait respirer.

Il entend des chants, des bruits d’ailes,
il a soif de grand jour et d’air…
il voudrait savoir les nouvelles,
il fait craquer son corset vert.

Puis, d’un geste brusque, il déchire
son habit étroit et trop court
« enfin, se dit-il, je respire,
je vis, je suis libre… bonjour ! »