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Analyse des vacances d’une poule connectée de M. Pandolfi par N. Chardon-Isch

Ce mercredi 16 mai, Nicole Chardon-Issh nous a présenté son analyse de cette nouvelle, complétée par quelques questions à l’auteure :

 

Présentation à la librairie Calédolivres mercredi 16 mai 2018

Mireille Pandolfi nous propose ce soir une réflexion universelle sur la société et le portrait progressif d’une jeune vacancière qui, après bien des aléas et hésitations, se décide à séjourner en Nouvelle Calédonie, véritable défi, réel  parcours initiatique.

L’aventure vers la NC est connotée négativement : «  stupide idée, coup de tête, une folie… » et le personnage n’en revient pas d’avoir osé partir si loin en dépit de ses limites : peurs, caractère insolite et audacieux du voyage, infraction aux règles familiales.

L’ennui, la monotonie caractérisent les vacances ordinaires d’Irène : « Elle passe ses vacances dans les Landes, où ses parents louent une maison avec la régularité de métronome »p.9. Elle n’a pas l’aval de son père, qui,  furieux de la savoir partie la traite avec mépris de poule. Le quolibet tant redouté « Irène la sirène » lui est jeté en pleine figure. Elle commet des erreurs culturelles sur facebook et se fait railler par ses amies.

Irène travaille aux Impôts, dans un milieu où règnent le paraître et des personnalités fortes qui l’écrasent ; faire-valoir, elle subit avec envie un entourage professionnel et prétendument amical de collègues bêcheuses, prétentieuses, à la pointe de la mode. « Les copines, notamment Marlène  et Pascale, « se délectent à la charrier » ; « l’une a fait le Maroc » : « subliiime » ; « tajiiine ». Les éloges hyperboliques fusent, ravalant Irène au rang de lanterne suiveuse et envieuse.

L’autre a fait l’Italie : « Les grecs, les romains, tout ça c’est pareil ! » D’une pirouette désinvolte elles se débarrassent de leurs scrupules et des objections d’Irène ;  superficielles et vaniteuses, elles se contentent de l’à peu près et brillent par leur médiocrité intellectuelle, masquée par la brillance de leurs tenues et la fréquence de leurs voyages, largement commentés et illustrés sur Facebook.

Ces Parisiennes, qui manquent de rigueur et de culture, qui pratiquent le cliché et les idées préconçues, sont des modèles pour une Irène aveuglée, insatisfaite et complexée tant par son léger embonpoint que par sa vie sédentaire et médiocre. Les choix de son entourage lui sont imposés et elle voudrait égaler ses amies pour les épater.

En lisant cette œuvre, je n’ai pu m’empêcher de penser à Matin brun de Franck Pavloff. Certes la nouvelle de Mireille ne dénonce pas une dérive totalitaire mais un usage tyrannique, léger et superficiel  des réseaux sociaux ; à ce titre facebook est un véritable personnage puisqu’il motive Irène, relie les autres personnages, véhicule des mensonges qui sont autant de faire-valoir. Lun des enseignements de ce  texte réside dans le fait de pointer du doigt une dérive de notre société : le mensonge et les faux-semblants, l’exposition fallacieuse et erronée de soi, l’usage compensatoire des réseaux sociaux.  Mais il incarne aussi un cheminement personnel, fonctionnant comme un roman d’apprentissage. A son retour, Irène, améliorée, épurée, décillée, ne sera plus la même, envisageant une installation en NC, plus à même de lui apporter de l’authenticité : « l’émulation sur F. retombe comme un soufflé raté »p. 34 ; elle « a pris conscience qu’elle ne stressait plus »p. 35.

Caustique et humoristique, la nouvelle montre  les contradictions et les beautés de la société calédonienne, complexe et attachante. Lors de son tour de NC, Irène a relevé des incohérences (éléphants, girafes, passion du 4×4) ; elle a eu un haut-le-cœur à la foire de Bourail devant la proximité  de bovins vivants, voisinant aux côtés de barbecues où grillent leurs congénères. Mais sa victoire réside dans sa capacité à démêler le vrai du faux, l’essentiel de l’illusoire. Délaissant l’aquarium, elle a plongé dans le lagon, au plus près de la réalité. Elle a ressenti et aimé ce pays calédonien. Se moquant de la déclaration de guerre de ses anciennes amies, elle découvre la transformation profonde de son être et fait fi de toute critique, désormais sûre d’elle et de ses choix.

La rencontre de l’Autre, l’ailleurs, les erreurs et errances auront permis à l’héroïne de se trouver, enfin apaisée, désormais capable de se démarquer de toute superficialité. Le voyage a fonctionné comme un révélateur. En dépit de quelques frayeurs, incompréhensions voire hostilités, ce pays lui a apporté une véritable libération-révélation.

L’écriture est parfois un peu familière, s’alignant sur les messages numériques contemporains et le niveau culturel de l’entourage d’Irène mais je pense qu’une exploitation serait possible en classe de 3ème, en lecture cursive notamment, pour le travail sur  l’argumentation et le point de vue. Des extraits peuvent être étudiés tout au long du cycle 4 des collèges, de la 5èmeà la 4ème, sur les thématiques du voyage, de l’aventure,  de la rencontre de l’ailleurs et de plusieurs mondes : « Ce pays a su lui parler. Cette nonchalance. Ces grands paysages presque vierges… Quelle libération ! « p.34-35

Cette seconde nouvelle de Mireille est l’affirmation qu’elle est maintenant lancée dans la grande aventure de l’écriture.

QUESTIONS A L’AUTEURE

  • Le séjour d’Irène en NC, plein d’humour et de contradictions, lui permet de se confronter à l’Autre et à l’ailleurs. N’est-il pas vrai qu’Irène est votre porte-parole et vous donne l’occasion de vous exprimer sur vos expériences calédoniennes ?

Oui, bien sûr, mais pas uniquement sur la Calédonie. A travers les personnages et les situations, je souhaite nous interpeller sur certains de nos comportements. J’insiste beaucoup sur le fait que ce sont les excès que je tente de dénoncer.

  • On voit bien derrière Irène la place de facebook dans la vie quotidienne et chez vous  la dénonciation de l’omniprésence addictive des réseaux sociaux dans un quotidien superficiel. Vous abhorrez Fb ?

Je n’abhorre pas FB. C’est juste sur un usage que j’estime parfois excessif, que je souhaite nous interpeller. Et nous rappeler que le paraître ne conduit qu’au vide sidéral, à l’insatisfaction permanente et à la colère. Je crois sincèrement que nous nous remplissons en étant, en faisant, mais pas en nous focalisant sur l’avoir et le paraître.

Quelqu’un m’a dit qu’il y avait un point commun entre mes deux nouvelles : une critique de la société. A la réflexion, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Car la société ne nous oblige pas à étaler les moindres détails de nos vies, comme le font certains, sur les réseaux sociaux. La société ne nous impose pas de vivre le nez plongé dans nos smartphones, plutôt que de parler à nos voisins.

Et ce n’est pas de la faute de la société, si le groupe de copines rejette Irène, dès lors qu’elle prend la difficile décision de sortir de son rôle de nunuche « faire-valoir », pour oser affirmer son légitime droit à vivre. Bien au contraire, c’est le lecteur en temps qu’individu, que je souhaite interpeller, pas la société. Que chacun s’interroge et prenne ses responsabilités.

  • Avez-vous d’autres projets d’écriture ?

Oui. J’en ai un en cours depuis… 14 ans…. Un récit de vie, pourrait-on dire, tellement intime et puissant que je peine toujours à l’écrire, même après tant d’années.

 

Crédit photo Joël Paul